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13 septembre 2010 1 13 /09 /septembre /2010 08:10

[la Revue des Deux Mondes – 1er avril 1929 in "Une correspondance inédite : le Prince Impérial et Ernest Lavisse" p. 572  à 574]

 

 

Janvier 1877

 

 

« Mon cher monsieur Lavisse,

 

Je vous remercie du souvenir que vous me gardez et du désir, que vous dites avoir, de reprendre les travaux que nous interrompons toujours avec regret. Ce désir est aussi vif chez moi que chez vous et j’espère que, d’ici peu de temps, nous pourrons le réaliser. Sous le billet de jour de l’an, se glisse un reproche immérité, vous en aurez bientôt la preuve, mais je vous en sais gré comme, du reste, j’aime à m’entendre dire mes vérités.

 

Je ne veux pas me borner, aujourd’hui, à répondre aux quelques lignes affectueuses où vous m’exprimez vos vœux ; je me souviens que je suis en retard sur vous de plusieurs lettres, que ces lettres me questionnaient sur des points qui méritaient des éclaircissements et que j’ai laissés dans l’ombre. Je veux aujourd’hui rattraper le temps perdu : me voici prêt à répondre.

 

Vous me parliez du journal la Nation et vous m’énumériez les difficultés que Duruy avait eues à surmonter et vous ajoutiez combien un encouragement lui eût été nécessaire. Ces difficultés étaient cause, disiez-vous aussi, de certaines erreurs, de certaines fautes, que l’on aurait été enchanté de voir relevées ou corrigées par moi.

 

De façon à éviter tout malentendu entre la Nation et moi, je vais établir quelle doit être notre situation respective en reprenant l’ordre des faits.

 

Ce journal n’a été fait ni par moi, ni par mes représentants directs, je ne suis engagé vis-à-vis de lui d’aucune façon. Je n’ai donc pas à entrer dans le détail de l’organisation, ni à analyser les difficultés que l’on a eues à vaincre : je n’ai qu’à constater le résultat.

 

Selon le résultat obtenu, je me promettais, soit de prendre la haute direction et d’accorder mon patronage, soit de rester sympathique, mais en dehors de tout. Or, vous savez combien je désirais avoir un journal, s’inspirant de ma pensée et expliquant la conduite du parti.

 

J’avais donc convenu avec vous, à Arenenberg, que Duruy m’écrirait ou me ferait écrire par vous, Filon, ou Béhic, quelque temps avant la publication du journal et qu’alors je lui ferais connaître ma pensée :

1° sur la situation politique ;

2° sur la ligne de conduite qu’elle comportait et par conséquent sur la thèse générale à soutenir ;

3° sur les trois ou quatre grandes questions politiques et sociales appelées à occuper le tapis.

 

Ceci fait, c’était à lui à faire une application constante des principes posés et à déduire de la théorie acceptée une série d’articles sur les questions du jour, qu’on ne pouvait prévoir dans leur détail. Alors, il eût été en droit de me demander mon appréciation sur sa conduite et je ne lui aurais refusé ni les félicitations ni le blâme …

Au lieu de cela qu’est-il arrivé ?

Duruy ne me fait rien demander avant la publication de son journal (je n’ai donc pu lui donner les indications générales dont il voulait s’inspirer) ; puis, après avoir écrit une série d’articles, il me demande mon approbation ; eh bien ! je n’ai pas cru devoir lui donner cette approbation : 1° parce que les idées qu’il émettait n’étaient pas conformes aux miennes ; ma lettre à Béhic le lui montrait ; 2° parce qu’il ne s’était pas conformé à ce qui avait été arrêté.

 

Ainsi, pour tout dire en un mot, la façon dont la Nation a été créée, faisait qu’elle ne pouvait devenir mon journal que par adoption.

 

Je n’ai pas voulu l’adopter par avance, sans savoir à quoi je m’engageais, j’ai voulu attendre pour la juger à l’œuvre. Et maintenant que l’essai est fait, je dois dire que, malgré le talent de ses rédacteurs, cette feuille ne mérite pas que je lui fasse une place exceptionnelle dans la presse du parti …

 

Au sujet de la lettre que j’ai écrite à M. Béhic, vous semblez croire qu’elle n’émane pas de moi : vous êtes dans l’erreur. Dorénavant, soyez bien persuadé que toute lettre écrite par moi, est pensée par moi. Une pareille méprise pourrait avoir de graves conséquences : certaines personnes s’en serviraient comme d’un prétexte, pour désobéir à mes instructions. Du reste, je garde pour moi le soin de décider sur les moindres affaires qui me parviennent, je suis seul à lire mes lettres et si je ne réponds pas toujours, c’est qu’elles ne comportent pas de réponses.

 

Vous me parlez aussi de Filon, que vous dites malade, j’espère qu’il ne l’est pas aussi gravement que vous croyez ; quoi qu’il en soit, veuillez me tenir au courant de sa santé.

 

Sa conduite dernièrement m’a peiné. Je lui avais fait savoir qu’un de ses articles m’avait déplu ; et blessé de ce que ma désapprobation n’eût pas été tenue secrète, il m’a fait parvenir une lettre à laquelle je n’ai pas jugé convenable de répondre, vu le ton sur lequel elle était écrite. Filon doit assez me connaître, pour être bien convaincu que ma conduite vis-à-vis de lui n’a été dictée par aucun mouvement de mauvaise humeur et que c’est à regret que j’ai été forcé, dans l’intérêt du parti, de relever les appréciations qu’il avait émises. Je tiens à ce qu’il sache que je n’ai contre lui aucun ressentiment, parce que je sais que souvent attristé et malade, il se laisse aller à un premier mouvement de dépit qui ferait mal juger de son cœur, si on ne le connaissait déjà.

 

Quant à mes travaux historiques, je devais, selon ce que nous avions convenu ensemble, lire les ouvrages que vous m’avez fait parvenir sur la Russie et prendre des notes sur des documents historiques du règne de Henri IV que vous ne m’avez pas envoyés. J’ai fait le premier de ces travaux, mais l’ajournement de mon voyage lui a enlevé sinon ses fruits, du moins son opportunité.

 

Je compte revenir à Camden d’ici trois semaines ou un mois. Veuillez m’écrire pour me proposer un plan d’études, avant mon retour en Angleterre. Je ne pourrai, bien entendu, vu mes occupations, rien faire pour vous ».

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