Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
13 septembre 2010 1 13 /09 /septembre /2010 08:12

[la Revue des Deux Mondes – 1er avril 1929 in "Une correspondance inédite : le Prince Impérial et Ernest Lavisse" p. 574  à 577]

 

 

Samedi, 18 février 1877

 

 

« Monseigneur,

 

Je commencerai par remercier Votre Altesse de la peine qu’elle a prise de m’écrire une si longue lettre, et de la franchise absolue avec laquelle elle s’est exprimée. J’ai dit à Clary que cette lettre m’avait fait à la fois peine et plaisir. Je commencerai par dire ce qui m’a fait de la peine. Il y a des mots bien durs dans cette lettre. Il est possible que le journal ait commis des fautes ; mais j’espérais que Votre Altesse s’intéresserait assez à la tentative et aux efforts qui ont été faits, pour ne point dire sèchement : « Je n’ai point à m’occuper des difficultés que l’on a rencontrées ; je n’ai qu’à constater les résultat ». Cela revient à dire, Monseigneur, que vous êtes indifférent aux bonnes intentions et à la bonne volonté de vos serviteurs, et qu’il n’est pas permis de vous parler des ennuis et des obstacles qu’on trouve sur son chemin dans votre service.

 

C’est beaucoup que la bonne intention, Monseigneur, et cela seul mérite déjà d’être récompensé. Voulez-vous me permettre de vous confier une inquiétude ? Je crains que vous ne croyiez guère au désintéressement. Il est difficile de vous prouver qu’on vous sert, par dévouement à une cause que l’on croit juste et par affection pour vous, parce que vous pouvez toujours croire que l’on compte sur l’avenir. En ce qui me concerne, c’est sur l’avenir que je compte pour vous prouver mon désintéressement absolu. Et je n’ai aucune raison pour croire que mes amis ne me valent pas. Dès lors, ne pensez-vous pas que vous deviez au moins quelques bonnes parole à ceux qui portent, ou qui, du moins, croient porter votre drapeau dans la mêlée ?

 

Ne m’en veuillez pas, mon Prince, de ne pas vous avoir reconnu dans la lettre à M. Béhic. Je ne vous savais pas ce ton sèchement impératif, que je retrouve dans la lettre que vous m’avez écrite. Franchement, je ne crois pas que ce ton soit nécessaire. La politique devant nécessairement vous ramener les esprits, votre rôle est de gagner les cœurs. Les mots comme « ma pensée », comme « désobéir à mes instructions » me paraissent ou trop solennels ou trop durs. Napoléon Ier ne s’en est pas servi avant le Consulat, et notre Empereur avait la main douce, alors même qu’elle était le plus ferme. J’aime les poignets de fer, mais aussi les gants de velours.

 

Pour vous parler une dernière fois du journal qui va disparaître, je rappellerai à Votre Altesse que jamais je ne lui ai demandé de l’adopter publiquement et officiellement. Je crois qu’il faut que vous soyez au-dessus de tous et, quelle que soit mon affection pour mes amis, je suis absolument incapable de sacrifier à cette affection la moindre parcelle de l’intérêt de votre service. Ce que j’espérais, c’est que ce journal, rédigé avec talent, par des hommes nouveaux, serait suivi par vous avec une sollicitude de tous les jours. Je persiste à croire qu’avec les idées très nettes et très justes que vous avez sur les devoirs d’un journal du parti, vous étiez parfaitement en état de le diriger et de l’avertir de ses erreurs, s’il en commettait. Deux ou trois lettres de vous auraient produit un effet immédiat. Aujourd’hui, je n’ai plus qu’une prière à vous adresser, c’est que vous ne laissiez pas croire à mes amis qu’ils ont encouru une disgrâce, comme cela semble ressortir de la lettre que vous m’avez écrite, et que je n’ai point voulu leur lire, parce que j’y ai trouvé un sentiment qui ressemble à de l’ingratitude.

 

Laissez-moi dire maintenant ce qui m’a fait plaisir dans votre lettre. C’est la netteté, et cette forte façon de dire qui montre la vigueur de votre pensée. C’est bien la qualité maîtresse qu’il vous faut avoir. Seulement, ne cachez pas votre cœur, qui est excellent, et ne mettez pas d’amour-propre à faire croire que vous n’avez pas de sensibilité. Ce n’est pas trop que la collaboration de votre cœur et de votre esprit. Votre tâche est d’une énorme difficulté. Ici, le désarroi est très grand. La République est pleine de menaces. Les hommes sont très petits, les idées n’existent pas, rien ne s’annonce, nous sommes frappés de stérilité. L’opportunisme est une excuse d’impuissance. Le radicalisme est un vieux masque derrière lequel il n’y a que des passions basses. Le centre gauche n’a pas de sexe. Qua faire avec tout cela ?

 

Je connais nombre de républicains désabusés. Je sais des légitimistes qui se tournent vers nous. La grande masse est flottante. C’est autour de vous seul que peut se faire le ralliement. Voilà pourquoi je me réjouis que vous soyez une personne ; voilà pourquoi je voudrais que cette personne fût mieux connue. Vous ne m’avez jamais entendu dire le moindre mal de ceux que vous appelez vos représentants directs. Je sais leur valeur qui est grande, et leur nécessité. Mais ces représentants qui ont tant d’attaches avec le passé, ne suffisent pas à préparer l’avenir. Les anciens se groupent autour d’eux ; les nouveaux hésitent et se tiennent à l’écart. Ce sont eux que l’on entend demander sans cesse : « Mais qui est le Prince Impérial ? ». On le saurait bientôt, si Votre Altesse se multipliait par les mille moyens qui lui sont offerts ; si les journaux qui servent sa cause sentaient directement sa main ; si nos députés, les jeunes surtout, étaient plus souvent encouragés et réprimandés par vous ; si vous étiez le chef qu’on sent partout présent, comme les serviteurs de Napoléon Ier, qu’ils écrivissent, agissent ou parlassent, s’imaginaient que l’Empereur était derrière eux, les mains croisées derrière le dos, écoutant, regardant, jugeant.

 

Puissiez-vous ne pas trouver que je rabâche ! Au moins dis-je ce que je crois être la vérité. Ce n’est pas que je me prenne pour un politique. Vous savez bien mon sentiment, qui est que je manque de toutes les qualités requises pour cet emploi. C’est pourquoi je ne vous parle jamais politique sans y être provoqué par vous. Je n’ai pas, de ce côté, la moindre ambition. Je n’aime la politique qu’à cause de vous. Ce sera l’excuse de cette lettre, si elle en a besoin.

 

Si Votre Altesse voulait bien me répondre un mot, je lui en serais très reconnaissant. Le ton de sa dernière lettre m’a un peu inquiété. Votre affection étant une des rares choses auxquelles je tienne, j’ai un peu besoin d’être rassuré ».

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Le Prince Imperial Napoleon IV
  • Contact

Recherche