Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
22 octobre 2010 5 22 /10 /octobre /2010 09:52

Lettre du Prince Impérial à l’Impératrice Eugénie, le 26 mars 1879 (Cape Town)

 

« Ma chère Maman,

Mon premier soin en mettant le pied sur la terre ferme est de m’acquitter d’un devoir cher à mon cœur. Je tiens à employer les quelques heures de loisir qui me sont laissées à causer avec vous de tout ce qui s’est passé depuis mon départ, car j’ai été privé pendant bien longtemps, non seulement du bonheur de recevoir de vos nouvelles, mais encore de la joie de vous écrire. Depuis ma dernière lettre, j’ai vu Madère, j’ai vu Ténériffe, et puis le ciel et l’eau pendant vingt jours.

Madère est un singulier petit pays qui, par sa position géographique et son climat, appartient à l’Afrique, tandis que ses habitants sont de race, de nationalité et de mœurs européennes. Par exemple, le soleil d’Afrique a pris plaisir à noircir la peau des Portugais, et on se rend compte, en les voyant, de la nuance extrême que l’on peut atteindre sans devenir nègre.

M. Batbeda a été, si je fais exception des douaniers, le premier visage que j’aie vu à Madère. Il savait par les autorités mon arrivée sur le Danube et il est venu à ma rencontre. Nous avons fait un tour à pied dans la ville, qui vraiment n’a rien de remarquable au point de vue haussmannien, mais qui fait bien dans le paysage.

Les habitants de Madère sont nos contemporains, mais, vraiment, ils vivent en dehors de notre siècle (je ne sais s’il faut les en plaindre).

Voitures à roues : inconnues.

Chemins de fer : inconnus.

Télégraphes : inconnus.

Gaz : inconnu.

Etc., etc.

En revanche, à Madère, on voit des choses qui semblent nouvelles aux gens civilisés : les arbres ne perdent jamais leurs feuilles, et ne plein hiver la grande place de Madère offre le spectacle que présenterait un de nos squares au mois d’août, si toutes les cages de la capitale perdaient leurs prisonniers.

Quoique mon séjour dans l’Île n’ait été que de deux heures et que je sois arrivé à cinq heures du matin, Mme Batbeda n’a pas voulu me laisser partir sans me dire bonjour et adieu. Elle est venue tout exprès de la campagne en traîneau.

Ceci ferait croire aux gens peu versés en géographie que Madère est bien plutôt en Russie que sous le 30e degré de latitude.

Mais les traîneaux de Madère n’ont jamais glissé sur la neige ; ce sont des sortes de larges patins sur lesquels repose une litière traînée par des bœufs beaucoup plus lestes que ceux des Mérovingiens. (Ici un croquis du Prince représentant les traîneaux de Madère) Ce qui fait que de semblables véhicules peuvent marcher, c’est que les rues et les routes de Madère sont pavées de gros cailloux polis comme des miroirs par le frottement de plusieurs générations. Depuis Madère jusqu’à la Ligne nous avons eu beau temps.

La chaleur sous les tropiques était accablante, et rien que des poissons volants, dont voici le portrait (autre dessin), ne pouvait nous distraire de notre paresse forcée.

Depuis l’équateur, la mer a été extrêmement forte, et, quoique la vieille cérémonie du passage de la Ligne soit tombée, à bord des steamers, en désuétude, l’Atlantique s’est chargé lui-même du soin de nous baptiser.

Les journées sont longues entre le ciel et l’eau ; aussi cherche-t-on tous les moyens de se distraire.

Parmi les passagers, il y a un grand nombre d’officiers en congé ou démissionnaires, de capitaines de la milice, ou de simples aventuriers qui vont, comme moi, au Cap pour faire la guerre ou pour chercher fortune. Ils se nomment les « volontaires », et chacun d’eux fait blanc de son épée. Nous avons pensé qu’il serait amusant, pour rompre la monotonie du voyage, d’avoir à bord une grande parade où chacun viendrait avec son costume et son équipement. Elu général en chef, j’ai donné les ordres pour une grande revue, et c’était vraiment amusant de voir cette ligne d’uniformes fradiavolesques monter et descendre avec le roulis (Nouveau croquis). Cette farce avait son côté sérieux, celui de nous permettre d’améliorer par la comparaison notre équipement et nos uniformes.

(…) Je viens d’arriver à Cape Town, comme mon papier a dû vous le dire déjà.

Dès que le Danube est entré en rade, un officier de marine attaché à lady Frere est venu au-devant de moi pour m’inviter à accepter l’hospitalité à Government House.

Je m’y suis rendu en voiture, acclamé par une population multicolore qui avait pavoisé les fenêtres de même.

Lady Frere vient de me mener à Constance où j’ai mangé de ce fameux raisin qui enfonce, je dois l’avouer, celui d’Arenenberg, et j’ai été ravi du paysage si varié qui s’est offert à mes yeux, fatigués de l’horizon aquatique.

Ce soir, lady Frere donne en mon honneur un grand dîner, et ensuite il y a réception.

Demain, je pars pour Durban où j’ai hâte d’arriver, car on prévoit une bataille … »

 

[« Le Prince Impérial, souvenirs et documents », Augustin Filon, 1912, p. 210-213]

 

 

Lettre du Prince Impérial à Scipion Corvisart, [mars 1879] Cape Town

 

« Mon cher Scipion,

Je ne puis que vous écrire quelques lignes car je n’ai que quelques instants à moi. Je ne puis mieux les employer qu’à causer un moment avec vous.

Je comptais vous écrire de Ste Hélène où j’aurais été heureux de faire un pèlerinage avant d’aller faire mes premières armes.

Puisque mon paquebot ne s’y est point arrêté, je suis forcé de vous écrire de Capetown où j’ai été bien malgré moi obligé de rester un jour.

Je m’embarque dans quelques heures et j’espère être rendu à Natal en temps opportun pour prendre part à un combat qui semble imminent.

Je vous souhaite, en vous disant adieu, d’éprouver bientôt comme moi la joie de gagner vos éperons même contre des nègres.

Votre bien affectionné. Napoléon ».

 

[« Le Prince Impérial », André Martinet, 1895, p. 328-329]

 

http://prince.imperial.over-blog.com/photo-1706903-File1879-4a_JPG.html

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Le Prince Imperial Napoleon IV
  • Contact

Recherche