"Le Monde Illustré" du 04/09/1869

Voyage de l’Impératrice et du Prince Impérial en Corse

« Dans notre numéro, qui a paru la veille du 15 août, nous avons donné une page intéressante de gravures sur le centenaire de Napoléon Ier, le fondateur de la dynastie ; aujourd’hui nous reproduisons les phases intéressantes du voyage de l’Impératrice et du Prince Impérial, qui, à défaut de S.M. l’Empereur, indisposé, sont allés en Corse, présider aux fêtes qui ont eu lieu dans la patrie du grand Empereur.

L’Impératrice et le Prince Impérial sont partis de Paris le 23 août, pour Fontainebleau, d’où, après un séjour d’une nuit, ils ont pris le chemin de fer pour se rendre à Lyon, première station du voyage.

S.M. l’Impératrice et S.A. le Prince Impérial ont été reçus, à leur débarquement sur le quai de la gare, à Lyon, par M. le général comte de Palikao et M. le sénateur préfet du Rhône, Henri Chevreau.

L’Impératrice et son Fils sont entrés dans le salon disposé pour les recevoir, salon tendu de reps vert à draperies de velours vert rehaussées de crépines d’or, garni de corbeilles et de massifs de fleurs. Là se trouvaient rassemblés les principaux fonctionnaires des ordres militaire, administratif et judiciaire, le conseil municipal et une députation de la chambre de commerce. Il n’y avait pas de dames.

S.M. l’Impératrice avait une robe de soie verte à bouillons de mousseline et à garnitures de dentelles blanches. Son chapeau, fermé, était vert avec une plume noire, et garni, à la passe, de grappes de raisins à petits grains. Un grand voile de dentelle noire très transparente enveloppait de la tête au milieu de la jupe ce costume d’une élégance sobre et parfaite.

S.A. le Prince Impérial portait l’uniforme des grenadiers de la garde, avec le képi rouge nouveau modèle et les attentes. Il avait le grand cordon de la Légion d’honneur.

Tous les édifices publics et un grand nombre de maisons particulière, pavoisés aux couleurs nationales, se sont éclairés le soir d’une splendide illumination, pendant qu’une foule compacte circulait joyeusement dans les rues.

Le lendemain, S.M. est allée visiter l’asile Sainte-Eugénie. Un des pensionnaires a adressé une allocution à la fondatrice de l’asile de Longchêne, et s’est fort bien tiré de son rôle d’orateur. L’Impératrice l’en a complimenté et a adressé la parole à plusieurs des convalescents avec une bonté si pleine de naturel que pas un de ces braves gens ne s’est trouvé embarrassé pour lui répondre. Un lunch était disposé dans le salon d’honneur. S.M. a accepté une tasse de thé. Un seul malade était alité à l’infirmerie ; il a reçu, de la bouche de la Souveraine, des paroles de consolation.

L’Impératrice et le Prince Impérial sont arrivés vers trois heures et quart au palais du Commerce, et ont été reçus par le président de la Chambre du commerce. Puis les augustes visiteurs ont été conduits dans la salle où avaient été disposés les appareils destinés à représenter mécaniquement, pour ainsi dire, les opérations relatives à l’histoire et à la fabrication de la soie. Il y avait un métier de velours, un métier d’étoffes brochées, deux métiers d’étoffes façonnées, un métier de gaze, trois métiers d’étoffes unies et de taffetas et un métier de tulle.

Cette séance a été assez longue, et le jeune Prince n’a pu en attendre la fin, pressé qu’il était de se rendre au Grand-Camp, où l’attendait une fête militaire plus en harmonie avec les goûts de son âge.

En sortant de la salle des métiers, l’Impératrice a parcouru les galeries du premier étage au milieu d’acclamations sympathiques et respectueuses. Enfin, elle est entrée dans la grand salon de la Chambre de commerce pour prendre un repos qui devait lui être nécessaire. Là, M. le président a offert, au nom de la Chambre, à S.M., une collection de robes de soie.

Les manœuvres militaires du Grand-Camp avaient attiré une foule immense de spectateurs. Elles ont eu lieu conformément au programme, et se sont passées sans accidents, à notre connaissance tout au moins. Les charges de cavalerie ont été splendides. Pour beaucoup de spectateurs, elles n’ont offert que le spectacle d’une trombe formidable de poussière d’où jaillissaient des éclairs d’acier poli, et qu’accompagnait un grondement pareil à celui de la foudre et du tremblement de terre mêlés. Mais cela même était un imposant spectacle. Le pont de bateaux a été jeté sur le Rhône avec une vélocité merveilleuse, par le génie et les pontonniers.

L’Impératrice et le Prince Impérial ont été immensément acclamés à l’aller et au retour.

Le départ de S.M. l’Impératrice et du Prince Impérial pour Toulon s’est effectué jeudi matin. Le départ de l’hôtel de la Préfecture a eu lieu à sept heures et demi. Les rues par lesquelles le cortège s’est rendu à la gare de Perrache étaient remplies d’une foule empressée. Les témoignages les plus affectueux ont été prodigués aux augustes visiteurs par la population.

Des saluts, des vivats, d’innombrables bouquets leur ont été adressés sans interruption jusqu’à la cour de la gare. La gare offrait pour le départ le même aspect que pour l’arrivée. Les mêmes dignitaires et fonctionnaires qui avaient reçu l’Impératrice le 24 ont eu l’honneur de se tenir présents à ses adieux à la cité lyonnaise.

Le tain s’est mis en marche à huit heures moins deux minutes, salué par une derrière et formidable acclamation mêlée aux sonorités de la fanfare.

***

Nous cédons ici la parole à M. Honoré Gibert, notre correspondant de Toulon :

Toulon, 26 et 27 août.

Toulon est resserré entre sa merveilleuse rade, ses remparts aux angles saillants et ses imposantes collines. C’est, malgré ses faubourgs, ses quartiers neufs et l’accroissement récent de son enceinte stratégique, une ville où paraît se mouvoir mal à l’aise cet ardent et loyal peuple de Provence, toujours excessif dans ses qualités comme dans ses défauts.

Le canon, ainsi qu’ailleurs une horloge, y tonne à des intervalles réguliers, et la marine militaire semble y porter dans ses uniformes sévères, dans la couleur noire et blanche qui, comme une tenture funèbre, pare le dehors de ses vaisseaux, l’éternel deuil des horreurs de la guerre.

Quand Toulon avait des évêques, la « Grand’paroisse » était la cathédrale. C’est une église d’assez belle proportion, mais qui, au demeurant, n’offre rien de remarquable. Décoré pour la circonstance, elles s’ouvrait jeudi, 26 août, devant l’Impératrice et le Prince Impérial, qui, acclamés de toutes parts à travers les rues sablées et pavoisées, s’y sont rendus en descendant de la gare.

Il était environ quatre heures. La présentation des dames appartenant aux notabilités toulonnaises devait avoir lieu immédiatement après, à l’Hôtel de la préfecture maritime. Au grand mécontentement de la foule avide qui se pressait aux abords du « Champ-de-Bataille », couvert de troupes, cette réception s’est prolongée au-delà du terme désiré.

Après avoir passé la nuit à bord de l’Aigle, et reçu dans un dîner officiel les principales autorités, les augustes voyageurs sont, le lendemain, entrés de nouveau dans Toulon. Cette fois-ci, par le port, en face de l’Hôtel-de-Ville où Puget attacha ses immortelles cariatides, en face du Génie de la navigation qui désigne au loin l’Océan.

Une visite à l’Arsenal devait être le fait marquant de cette seconde journée. Des pavillons de signaux aux combinaisons héraldiques du plus pittoresque effet flottaient dans l’avenue des chantiers de la marine, et des engins de tout genre étaient venus se ranger en ingénieux trophées sur le passage du cortège.

Le soir, le yacht impérial, dont un double câble d’or ceint les flancs rebondis ainsi que ceux d’un athlète, faisait route vers la Corse, jetant au vent, comme des nuages, ses gorgées de vapeur sans cesse renaissantes ».

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